Rappport de notre enquête


couverture de manga

Introduction et conception de l'enquête

Le choix du sujet

Lors de notre recherche du sujet, nous nous sommes penché sur une passion majeure de notre existence : celle des mangas. En partant du constat que nous avons commencé la lecture de mangas via les animés diffusés sur la télévision étant petit, nous nous sommes tout simplement demandé si c’était le cas pour beaucoup ? De là, d’autres interrogations nous sont venus en-tête : « Quelles sont les raisons qui ont amené les individus à lire ce type de livre et pas un autre ? » ou bien « Quel est le budget émis en moyenne pour la consommation de mangas ? ». En outre, le sujet nous semblait directement intéressant à traiter tant la pratique était majeure dans notre société actuelle.

Une fois le sujet choisi, nous avons réalisé des recherches complémentaires afin d’acquérir plus de connaissances. Ayant déjà connaissance de la popularité du manga à l’international, l’intérêt de ses recherches étaient de complémenter notre perspective d’étude qui reposait sur l’appréciation globale des mangas. Au travers de l’ouvrage de Bouissou paru en 2006[1], nous avons appris que le manga est le fondement de l’industrie culturelle japonaise d’exportation. Son atout majeur est d’être un produit « fabriqué » de masse, qui coûte peu cher : 1,5 milliard d’exemplaires, au prix qui dépasse rarement les 8 euros, en 2002. Autrement dit, il semblerait que le manga cible un public très large. Après avoir acquis cette conscience, nous avons décidé de limiter notre perspective du manga en France. En effet, étant le deuxième pays consommateur de manga, il nous semblait intéressant de limiter notre étude à la France.

La mise en contexte

Depuis 2020, avec la faveur des confinements, le manga s’est d’autant plus popularisé, passant de 22 millions de ventes à 48 millions en 2022 (un livre acheté sur sept), dont 36,5 millions sont des Shōnen (manga adressé généralement à un public de jeunes garçons)[2]. Depuis les années 1970-1980, les enfants et adolescents sont biberonnés aux animés – nom donné aux dessins animés japonais – avec notamment Goldorak (1975) ou encore Ulysse 31 (1981). De par cette diffusion en masse des animés, les consommateurs sont amenés naturellement à se diriger vers le manga japonais pour connaître la suite de l’histoire, cela a influencé des générations entières et continues de le faire. Les premiers grands mangas sont arrivés en France à partir des années -90 avec notamment Dragon Ball (1993). Plusieurs artistes français se sont lancés dans l’aventure et il existe à présent des mangas français dont le plus connu se nomme Radiant (2013, a réussi à être adapté en animé au Japon). De plus, les mangas s’adressent à toutes les catégories, que ce soient des adolescents ou des adultes, des garçons ou des filles, chacun peut trouver son bonheur. Ainsi, l’engouement autour du manga s’est développé au point de tirer le marché français du livre, il est alors intéressant de se pencher à cette croissance constante du manga tant elle domine aujourd’hui le domaine de lecture.

La problématique et les axes d'étude

La lecture de manga est majoritaire et continue d’être en expansion en France. Ainsi, nous nous sommes questionné sur les dispositions des pratiquants et des non pratiquants dans l'objectif de comprendre l'évolution de cette pratique. Il est intéressant de comprendre l'influence de la pratique de manga et l’impact de celle-ci sur les pratiquants mais aussi de comprendre les raisons des non pratiquants étant réticents à la lecture de manga. Pour cela, nous nous sommes poser la question suivante : « En quoi repose l’appréciation globale du manga en France ? ».

Notre développement se compose de quatre grandes parties. Dans un premier temps, nous analyserons l’ensemble de nos enquêtés afin de faire ressortir les principaux critères de distinction entre pratiquants et non pratiquants. Dans un second temps, une fois ces critères répertoriés, nous traiterons séparément dans deux parties distinctes la population pratiquante et non pratiquante. Pour la première population, nous étudierons les variables explicatives qui influencent leurs pratiques mais aussi la perception de ces derniers sur le manga. Quant à la seconde population, nous tenterons de déterminer les raisons de leurs réticences vis-à-vis de la lecture de manga.

La diffusion du questionnaire et l’échantillon recueilli

En premier lieu, nous avons diffusé notre questionnaire auprès de notre entourage. Pour ce faire, nous l’avons posté sur nos réseaux sociaux, demandé à nos familles, nos amis et connaissances d’y répondre. Ainsi, un enthousiasme s’est fait ressentir et nous avons réussi à répertorier un certain nombre de réponses durant les premiers jours de diffusion. En second lieu, nous avons relancé la diffusion de notre questionnaire, une semaine après, au sein notre cercle restreint (très proches) en leur demandant de partager celui-ci. Dans la mesure où nous sommes très peu sur les réseaux sociaux et prenons peu de nouvelles, nous avons préféré ne pas établir cette requête auprès de tous nos contacts, nous nous sentions pas légitimes. Néanmoins, cela a tout de même eu pour effet de relancer notre enquête au point de doubler les réponses. À travers la diffusion de notre questionnaire, nous avons cherché à recueillir une diversité de public en demandant aux membres plus âgés de notre famille à partager à leurs contacts, pendant que nous nous occupions de diffuser aux plus jeunes. Néanmoins, par manque de temps et de moyens, il nous est impossible de réaliser un rendu parfaitement représentatif de la société française dans la mesure où le questionnaire ne touche principalement que la population du Nord. Malgré tout, nous avons bien entendu tenter de ressortir des résultats les plus représentatifs possible à partir de notre échantillon.

Suite à la diffusion du questionnaire et après avoir trié les réponses en écartant celles en doublons, nous avons recueilli un total de cent huit réponses différentes. Ces réponses vont alors représenter notre échantillon d’étude. La répartition n’est pas égale entre pratiquants et non pratiquants. Cependant, la part de non pratiquants s’élève à 39%, ce qui reste exploitable et représentatif de notre échantillon.


Notre échantillon se compose de nombreux profils dissonants. Malgré une majorité d’étudiants, les tranches d’âge varient des moins de 20 ans (31%) aux 25 ans ou plus (21%). Entre deux, on trouve la tranche d’âge des 20-24 ans (48%) qui représente les jeunes adultes, limite de la jeunesse. Cette majorité peut s’expliquer par les modalités de diffusion du questionnaire sur les réseaux sociaux dont les jeunes pratiquent pour la plupart avec l’essor du numérique.


Pour ce qui est du genre de notre échantillon, celle-ci est plus ou moins équitablement réparti : 50% d’hommes et 48% de femmes.


Ainsi, nous avons réussi à toucher une grande diversité d’individus au travers de ces deux variables que sont l’âge et le genre. Nous allons à présent développer plus en détail ces mo-dalités au sein de notre avancement.



Les lecteurs de mangas

À travers notre étude, nous avons cherché à différencier les profils des personnes lisant des mangas de ceux qui n’en lisent pas dans l’optique de dégager des profils types qui peuvent accentuer la lecture de manga. On part donc du constat que les individus du groupe des lecteurs et des non-lecteurs ne partagent pas les mêmes caractéristiques.

Des profils spécifiques

Notre hypothèse initiale est tirée de l’ouvrage « Des shōnens pour les garçons, des shōjos pour les filles ? Apprendre son genre en lisant des mangas » paru en 2011 et rédigé par Christine Détrez[3], elle vient affirmer que les jeunes lisent majoritairement des mangas, mais aussi que les garçons sont plus enclins à la lecture de manga que les filles. Nous avons décidé de placer délibérément la jeunesse à moins de 25 ans afin de mieux analyser la pratique entre les plus jeunes et plus âgés.

À l’aide des données recueillis, nous avons pu remarquer que l’âge est l’une des caractéristiques dominantes dans la lecture de manga. En effet, on constate d’une part que 85% des moins 20 ans ou encore 61% des 20 à 24 ans ont lu au moins une fois un manga au cours de leur vie, de l’autre, environ 1/4 des personnes âgées de 25 ans et plus ont déjà lu un manga. Notre première partie d’hypothèse semble alors se vérifier.


Comme le montrent les études (Détrez, Vanhée, 2012)[4], le manga approche « le cœur des réceptions, là où s’élaborent les émotions, sensations et réflexions vécues » des jeunes. De plus, il est nécessaire de rappeler que le manga se démocratise en France vers la fin du 20ème siècle. Les jeunes générations sont alors nées avec la culture japonaise des mangas et ont intégré celle-ci à leur habitus (Bourdieu, Passeron, 1970)[5]. Les nouvelles générations sont donc plus à même que les anciennes générations de se familiariser rapidement à cette lecture du manga.

Quand bien même l’âge est l’une des raisons explicatives à la lecture de manga, elle n’est pas la seule. En ce sens, le genre de l’individu semble aussi jouer un rôle majeur dans la pratique étudiée. Les filles liraient alors moins de manga que les garçons. En effet, 69% des garçons interrogés lisent des mangas. À l’inverse, environ la moitié des filles enquêtées n’ont jamais lu de mangas (49%).


Ainsi, les mangas paraissent être davantage apprécié des garçons. Cela pourrait s’expliquer par la prégnance du genre sur les pratiques culturelles (Buscatto, 2014)[6]. Cette prégnance du genre inscrit le chant, la danse classique ou encore la lecture de romans d’amour à un registre plutôt « féminin » ; a contrario, les œuvres d’action, la photographie ou la danse hip-hop relèvent plutôt d’un registre « masculin ». Dans la mesure ou les shōnens, présentant de nombreux combats et qualités masculines (force, technique, virtuosité…), sont les mangas les plus produits et les plus vendus, il apparaît logique que les garçons lisent davantage de manga.

Par ailleurs, nous pensions aussi que les individus issus de la classe moyenne lisaient davantage de manga que ceux issus de la classe supérieure. En effet, en prenant les individus qui se situent à un niveau de 5 (classe moyenne) : 54% d’entre eux ont déjà lu des mangas (25 / 46 x 100 = 54,35). A contrario, en prenant les individus qui se situent à un niveau entre 6 et 10 (classe supérieure) : environ 73% d’entre eux ont lu au moins un manga dans leur vie (16 / 22 x 100 = 72,73). Ainsi, les fréquences laissent entendre que la lecture de manga est plus appréciée au sein du haut de l’échelle sociale. Néanmoins, ces données sont à nuancer dans la mesure où on a rassemblé un effectif bien plus petit d’individu issu du milieu supérieur (22) par rapport au milieu moyen (46), ce qui n’est pas représentatif dans un sens.


Alors même que le manga ne relève pas de la culture légitime pour son aspect sommaire dû à ses nombreux dessins, les individus issus des classes supérieurs consomment aussi ce genre littéraire. Cela révèle des dissonances culturelles, c’est-à-dire que les individus ne sont pas forcément cohérents en ce qui concerne le degré de légitimité de leurs goûts et de leurs pratiques comme le sous-entendent les études développées par les études de Lahire (2006)[7].

Influences des proches sur la lecture de manga

Nous allons à présent chercher à comprendre l’influence que les proches peuvent avoir sur la lecture de manga.

En premier lieu, nous avons cherché à mesurer l’influence des proches sur l’initiation à la lecture de manga. Nous avons pu relever que plus de la moitié des interrogé ayant déjà lu un manga ont commencé à la suite d’animés (60%). Le degré d’influence des proches (amis, familles) sur l’initiation à la lecture de manga s’élève quant à lui à hauteur de 37%.


Ainsi, il est clair que les proches ont un pouvoir sur l’initiation à la consommation de mangas mais ce pouvoir apparaît plus faible par rapport à l’influence des animés. Cette dernière peut s’expliquer par le fait que le manga est concrètement arrivé en France à la suite de la publication des animés dans les années 1970-1980, avec notamment Goldorak (1975) ou encore Ulysse 31 (1981).

Pour autant, on remarque que 60% des interrogés ayant lu au moins un manga dans leur vie pensent avoir reçu de l’influence de leurs proches. Ce qui prouve que les proches ont un réel impact sur l’initiation à la lecture de manga.


Comme le prouvent les études (Lapointe, Luckerhoff, Prévost, 2020)[8], la plupart du temps, les pratiques culturelles font l’objet d’une initiation par la famille et les amis. Il peut s’agir d’écouter le même genre de musique, d’aimer le même film ou de consommer toutes sortes d’aliments… De ce constat, le manga n’échappe pas à la règle.

En dernier lieu, nous avons tenté d’installer un lien de causalité entre les lectures de mangas individuels et celles de l’entourage. Comme le sous-entend la théorie énoncée plus tôt de l’habitus défendu par Pierre Bourdieu, les individus agiraient en fonction de leur socialisation. De ce constat, les personnes proches vont avoir des pratiques similaires. Cependant, comme le montrent les résultats, le fait de posséder ou non des personnes dans son entourage qui lisent des mangas ne semblent pas jouer sur les chances de pouvoir en lire soi-même : 60% des personnes ayant déjà lues un manga possédaient un proche qui lui-même lit des mangas contre 64% pour ceux ne possédant pas de proche adepte de la pratique. Ces fréquences rapprochées montrent à quel point la lecture des proches ne joue pas spécialement sur notre lecture du manga.



Les dispositions des pratiquants

Nous avons pu voir des profils spécifiques de la lecture de mangas liés à des variables socio-démographiques (âge, genre, milieu social). À présent, nous allons tenter de vérifier l’existence de profils typiques à l’aide de variables socio-économiques (statut social, profession, revenu). De plus, nous aborderons les modalités de la lecture de manga. Enfin, nous essayerons de mettre en lumière les particularités valorisées, puis les raisons explicatives des enquêtés pour la pratique qui est ici étudiée.

Les variables socio-économiques des pratiquants

Notre questionnaire a majoritairement été répondu par des jeunes individus. Cette répartition n’est que peu surprenante et peut s’expliquer par le fait que le questionnaire a été diffuser sur les réseaux sociaux comme nous l’avons cité auparavant. Il est à noter qu’il est alors difficile de prétendre à une réalité significative de la société française. Pour autant, suite aux résultats de l'âge de nos pratiquants, il est observable que plus de la moitié de nos enquêtés sont des étudiants, ce qui reste digne d’intérêt.

En France, le fait que la grande majorité des lecteurs de mangas sont des étudiants (84%) peut s’expliquer par un effet de génération. Les mangas sont arrivés en France à partir de 1978 avec Goldorak. Néanmoins, peu de temps après, les mangas ont connu une baisse de popularité liée à la violence jugée trop forte. C’est à partir de 1993 que la relève commence avec Dragon Ball, ce qui touche une grande partie des jeunes qui n’arrêtent pas d’en parler (FanGirl, 2007)[9]. De ce fait, le manga a commencé à réellement se démocratiser au début des années 1990. Dès lors, les jeunes générations ont davantage été toucher par le phénomène.


Parmi nos interrogés, les nombreux étudiants qui lisent des mangas sont très peu à être en emploi, il est alors impossible d’établir un profil type de la lecture de manga lié à la profession. Cependant, parmi les pratiquants en emploi, j’ai pu répertorier tout de même 33% d’employés. Dans la mesure où les étudiants ont principalement pour objectif de subvenir à leurs besoins primaires, ils occupent le bas de l’échelle sociale au bénéfice d’un petit revenu qui fait guise d’aide financière.


La dernière variable importante à étudier concerne le revenu des lecteurs de mangas. Du fait que les pratiquants sont très peu en emploi, on observe que 66% d’entre eux ne touchent aucun revenu. Ainsi, notre hypothèse qui sous-entend que le manga est une œuvre littéraire à faible coût semble se vérifier dans l’idée que malgré le manque de revenu, les étudiants arrivent tout de même à s’en procurer. De par un prix moyen avoisinant les alentours de 7,6 euros (Caractère, 2018)[10], le manga arrive à toucher un jeune public d’étudiant, qui n’a pas nécessairement besoin de toucher un salaire pour en profiter. Le manga arrive aussi à fidéliser ses derniers de par une grande offre. Par ailleurs, nous pouvons concrètement observer cette représentation au sein du budget émis : 94% des pratiquants dépensent moins de 50 euros par mois pour l’achat de manga. En outre, il apparait clairement que les lecteurs de mangas n’ont pas la nécessitée de débourser une forte somme pour satisfaire leurs besoins de lecture.


Les modalités de la lecture de manga

L’un des aspects les plus importants à étudier lorsque nous abordons les modalités de la lecture de manga est la régularité de la pratique : 38% des pratiquants lisent au moins 1 fois par mois un manga contre 17% pour ceux qui lisent au moins une fois par an. Il apparaît alors que la lecture de manga est une pratique davantage mensuelle qu’annuelle, elle est donc plus ou moins appréciée par ses consommateurs qui prennent le temps nécessaire chaque mois pour lire. Par ailleurs, il est intéressant de constater que 1/4 des pratiquants lisent au moins une fois un manga dans la semaine, ce qui montre encore que le manga est une œuvre littéraire qui attise grandement la curiosité.


De plus, en abordant la durée moyenne de la pratique, il est ressorti que le manga représente un objet de lecture qui ne nécessite pas une grande prise de temps libre. En effet, pour plus de la moitié de nos pratiquants, ils mettent généralement moins de 1 heure à lire un manga (57%). D’après Jacqueline Peignot (2006)[11], dans un manga, les dessins permettent d’aller à l’essentiel et rend l’œuvre sommaire. Ils sont concentrés sur deux thèmes très appréciés des jeunes : l’action et l’émotion des personnages. Cela peut être un facteur explicatif de la raison qui amène le manga à être un objet de lecture rapide et apprécié des étudiants. On note aussi qu’un peu plus de 1/4 de nos enquêtés mettent plus de 1 heure à lire des mangas. Cela n’est pas dû au fait d’une lecture qui se veut lent mais plutôt à une grande appréciation qui amène ces lecteurs à se plonger profondément dans l’intrigue. Pour appuyer ce constat, nous observons d’une part, que 48% des pratiquants lisent rapidement des mangas, de l’autre, 43% lisent à vitesse moyenne. Cela vient une fois de plus prouver que le manga est un objet de lecture simpliste, ce qui plaît grandement à un public jeune qui recherche pré semblablement une histoire qui se veut avant tout claire de sens et concise.


Les particularités valorisées lors de la recherche d’un manga

Comme tout type de bien matériel, les individus vont rechercher des particularités précises avant un achat pour satisfaire leurs besoins. Le manga n’échappe pas à la règle. Pour ce faire, on observe que 3/5 de nos enquêtés vont prioriser avant tout le scénario (60%). Cela s'explique par le fait qu'il est nécessaire que les jeunes trouvent une histoire qui corresponde à leurs préoccupations pour mieux construire leur propre monde. Ils souhaitent une intrigue qui les motive à lire. La seconde particularité la plus recherchée par les lecteurs de manga est la qualité du dessin à hauteur de 43%. Il est nécessaire de rappeler que le manga naquit du célèbre peintre et dessinateur Hokusaï Katsuhika (1760-1849). Dès lors, le manga est à l’origine un art, ses consommateurs vont donc chercher à trouver le sommet de celui-ci.



Nous avons ensuite cherché à comprendre l’influence des caractéristiques des enquêtés sur les attentes qu’il pouvait avoir lors de l’achat d’un manga. Lorsque nous nous interrogeons de l’impact du genre sur les attentes d’un manga, nous avons des particularités qui se rapprochent. Que ce soit homme ou femme, ils vont prioriser le scénario. La seule différence a minima significative est la qualité du dessin : 26% pour les hommes contre 16% pour les femmes. Il est à noter qu’il s’agit ici de la particularité principale recherchée par rapport à un manga.


Nous avons aussi étudié les particularités favorisées en fonction de l’âge des interrogés. Quel que soit l’âge, le scénario est majoritairement priorisé : 50% pour les moins de 20 ans, 72% pour les 20-24 ans et 40% pour les plus de 25 ans. Seulement, on observe que 40% des plus de 25 ans montrent un intérêt pour la qualité du dessin. Ainsi, nous pourrions soumettre l’hypothèse que plus les individus sont âgés et plus ils deviennent sensibles à l’art. Il semblerait que les personnes âgées lisent des mangas dans une démarche de découverte culturelle et artistique.


Enfin, en étudiant la lecture de manga en fonction du revenu, on découvre que peu importe celui-ci, en moyenne, 59% (63+57+56 / 3) des individus vont une fois de plus prioriser le scénario. Sans changer des dernières caractéristiques étudiées, la seconde particularité sera la qualité du dessin. En clair, les caractéristiques des lecteurs de mangas ne vont pas influer sur les particularités premières et secondes qu’ils recherchent d’un manga. La particularité principale recherchée sera toujours le scénario, et la seconde sera la qualité du dessin.

Les raisons explicatives de la lecture de manga

Nous avons répertorié plusieurs modalités explicatives de la lecture de manga dans une variable que nous avons décidé de diviser en deux afin d’établir, tout comme les particularités vues précédemment, la raison première et secondaire.

D’après nos enquêtés, le fait que le manga puisse permettre de pouvoir s’évader de la vie quotidienne est la raison principale qui les amène à en lire pour un peu plus de la moitié d’entre eux (51%). Comme le montrent les nombreuses études consacrées à la lecture, le livre est consacré à la sociologie du loisir. C’est un objet culturel qui est régulièrement associé à une activité purement passive ou l’individu va généralement s’installer au calme pour commencer à absorber les informations (Pronovost, 2014)[12]. Il va se retrouver face à lui-même et former sa « bulle », en quelque sorte, il est coupé du monde.


La raison secondaire concerne l’idée que le manga représente un objet de lecture différent des objets de lecture classique (romans, contes, nouvelles…). Pour les jeunes, le manga permettrait de se différencier des adultes et de se créer un univers culturel propre à eux : action, amour, liberté… En effet, les personnages principaux sont généralement à la recherche de leur identité. A contrario de la plupart des adultes qui ont déjà trouvé leurs voies, les adolescents se sentent en harmonie avec le scénario. À cet effet, 43% de nos interrogés considèrent que le manga est un objet de lecture différent qui se veut plus original. L’explication à cela se retrouve aussi dans son sens de lecture (gauche à droite) ou à la couleur de ses dessins qui sont tout le temps en noir et blanc. En clair, le manga ne ressemble à aucun autre objet de lecture. Dès lors, les jeunes se le sont approprié.



Les dispositions des non pratiquants

Il est intéressant d’analyser les dispositions des non pratiquants tant elles permettent de mieux comprendre les réticences quant aux mangas. En se recentrant sur la problématique de l’appréciation globale, cela nous permettra de mieux s’adapter à leurs demandes. En clair, l’idée est de prendre le contrepied du sujet pour, à l’avenir, cerner les points qui devront être améliorés concernant les mangas.

Les variables socio-démograhpiques des non pratiquants

L’élaboration des non pratiquants en fonction de variables socio-démographiques peut servir à appréhender les profils qui sont moins ciblés par la vente de manga. D’après notre échantillon, on observe que les non pratiquants sont principalement des femmes. Quand bien même les mangas sont adaptés à tous par sa grande typologie, les catégories adressées aux filles et jeunes femmes, que sont les shōjos d’un côté (genre où on va suivre le développement des sentiments des personnages) et les joseis de l’autre (genre ou on va suivre le développement d'intrigues amoureuses complexes adressées aux jeunes femmes) ne semblent pas les intriguer autant que le pouvoir d’un shōnen sur les garçons. Pour résultat, 49% des femmes interrogées n’ont jamais lu de manga contre 31% pour les hommes. On pourrait interpréter ce résultat par le fait que la littérature féminine ne jouit pas d’une bonne réputation, le style est volontairement simple : une belle jeune femme tombe amoureuse d’un homme beau, et réciproquement. Néanmoins, la majorité des lectrices de mangas ne se retrouve pas dans ces codes réducteurs de la femme (Club Shōjo, 2018)[13]. La littérature féminine est alors déprécié et c’est pourquoi beaucoup de femmes vont se tourner vers d’autres styles qui laissent davantage place à l’imagination et à la réflexion.


Ensuite, nous observons que le taux de non pratiquants est quasiment doublé pour les individus âgés de plus de 25 ans (76%) par rapport à ceux se situant entre 20 et 24 ans (39%). Nous pouvons observer ce constat au travers de la limite des classifications par âge des lignes éditoriales. Quoique que les individus puissent piocher dans les genres en fonction de leur sensibilité comme nous l’avons vu avec les filles juste avant, il est indéniable qu’il n’existe pas de catégorie propre aux personnes âgées. En effet, d’un côté, les seinens visent un public de jeune homme, de l’autre, les joseis visent un public de jeune femme. Il n’est en rien précisé qu’il s’agit d’une intrigue mûrement réfléchie adressée à un public avancé. De ce fait, il semblerait que les mangas ne se préoccupent pas plus que cela d’atteindre la curiosité des personnes mûres ou des seniors. Le manga étant arrivé assez tard, il n’est probablement pas intéressant de fidéliser ces derniers tant ils sont déjà installés dans d’autres objets de lectures (roman, nouvelle, conte…).

Les raisons explicatives de l’absence de la lecture de manga

L’intérêt d’analyser les raisons justifiant l’absence de la lecture de manga permet de mieux appréhender la réticence des non pratiquants afin d’y trouver des solutions.

La raison première expliquant cette réticence des non pratiquants face aux mangas est liée au fait que pour 46% d’entre eux, ils utilisent d’autres moyens de lecture. Ces derniers ne trouvent pas la nécessité d’avoir recours aux mangas car ils apprécient davantage des objets de lecture plus classiques. Par ailleurs, l’école favorise largement la culture légitime, dont les mangas ne font pas partie. Cela pourrait être l’une des explications qui amènent à ce que ces individus ne lisent pas de mangas car ils représentent peu d’avantages scolaires.

Ensuite, en tant que seconde raison, on note que 20% des non pratiquants préfèrent les animés. L’explication plausible à cette observation peut être liée au fait qu’ils n’ont besoin de réaliser aucun effort, ils doivent simplement s’installer devant un écran et absorber les informations qui s’en dégagent. Les jeunes consacrent alors moins de temps à la lecture au profit du temps passé devant les écrans. En moyenne, les jeunes lisent 3h14 par semaine, mais passent 3h50 par jour devant les écrans (Vie publique, 2022)[14]. Inversement, d’après le CNL (Centre national du livre), les écrans peuvent pousser les jeunes vers le livre : plus d’un lecteur sur deux (58%) estime avoir déjà lu un livre après avoir vu une série ou un film sur une plateforme.

Enfin, on s’aperçoit qu’un manque d’envie joue pour beaucoup dans l’absence de la pratique comme le montre sa troisième place à hauteur de 17%. Au-delà d’être un produit « culturel », le manga, à la différence des biens « de première nécessité », répond à un plaisir sans aucune finalité. C’est en cela que Jean-Marie Bouissou désigne le manga comme « produit de plaisir pur » (n’ayant aucun rapport avec une nécessité d’améliorer sa condition). Pour obtenir cette fonction, le manga doit susciter chez l’individu des sentiments intenses qui l’arrache de son quotidien (forme d’évasion) et qui en fait un être à part (forme de différence). Cependant, certains individus vont juger que l’objet culturel ne représente aucun bénéfice à leur égard, il est alors pertinent et libre de choix pour eux de ne pas le consommer et de chercher ailleurs.


Une fois les raisons de leurs réticences en rapports aux mangas cernées, il semble pertinent d’amorcer la vision des non pratiquants quant à leurs possibilités à l’avenir de lire des mangas. À cet effet, la majorité des non pratiquants (17) déclarent avoir environ 0 chances sur 10 de commencer un jour à consommer des mangas. Seulement 8 non pratiquants déclarent avoir plus de 8 chances sur 10 de consommer à l'avenir des mangas. Il est clair que ce seuil est faible et montre bien la forte réticence qui persiste. Ces non pratiquants se justifient par de nombreux facteurs, que ce soit un manque d’envie, un manque d’occasion ou encore une préférence pour les animes. En outre, la majorité n’envisage pas de devenir des lecteurs de mangas, leurs pratiques ou loisirs semblent leur convenir.



Conclusion

Malgré notre échantillon peu représentatif de la société française, nous pouvons tout de même prétendre à une observation qui se veut la plus pertinente possible. Dans l’ensemble, il nous apparaît clairement que la majorité des pratiquants de la lecture de manga sont des jeunes étudiants sans emploi et sans revenu. Cette pratique semble donc grandement accessible de par son faible prix avoisinant en moyenne les 7,6 euros l’unité. Ainsi quelle que soit la tranche d’âge, le genre ou la classe sociale, le manga peut être lu par tous. En cela, on peut déconstruire l’apriori qui voudrait que les mangas soient une lecture populaire, nous avons pu voir que les classes supérieures sont toutes aussi consommateurs que les classes moyennes ou populaires, quand bien même elles ont des revenus supérieurs.

En se focalisant davantage sur les pratiquants, on découvre aussi que la théorie de Christine Détrez est vérifié : les jeunes lisent plus de manga que les adultes et autres personnes âgées , de même que les garçons par rapport aux filles. Les garçons vont davantage prioriser l’action et les combats avec les shōnens, tandis que les jeunes hommes vont se focaliser sur les trames plus violentes et sanglantes avec les seinens. Ces deux catégories représentent celles qui marchent le plus dans le domaine du manga. Même si de nombreux individus pensent avoir commencé instinctivement la lecture de manga, 60% affirme avoir reçu une influence de leurs proches, ce qui dévoile le manga comme un objet culturel de masse tant celui-ci a le pouvoir de s’étaler n’importe ou. Par ailleurs, ce constat est accentué par la grande mondialisation qu’à connue le manga. De plus, on découvre que quel que soit le genre, l’âge ou le revenu, les particularités préférées des pratiquants sont le scénario en premier, et la qualité du dessin en second. En la lecture du manga, ses pratiquants arrivent à s’évader de la vie quotidienne en se formant un monde à eux. Pour d’autres, le manga est un objet de lecture plus original qui se veut digne d’intérêt par son histoire ludique et concise.

Concernant les non pratiquants, nos résultats sont moindres du fait qu’ils ne représentaient pas le centre de notre sujet. Néanmoins, nous avons jugé pertinent de les analyser pour mieux comprendre les défauts qui empêchent ces derniers de se fondre dans l’appréciation globale du manga en France. Nous avons alors découvert que ce groupe est majoritairement composé de femme. En raison des catégories simplistes et presque sexistes qui leur aient adressé (shōjos et joseis), elles ne sentent pas concerner par les codes émis. On note aussi que les personnes âgées sont peu ciblées par les campagnes de vente liées aux mangas par la limite d’âge fixé par les maisons éditoriales qui se stoppent aux jeunes adultes. Les raisons des non pratiquants sont nombreuses mais les principaux sont la lecture d’objets littéraires différents ou bien la préférence pour les animés.

En outre, l’appréciation globale du manga en France repose sur sa grande typologie qui s’adresse à un grand nombre de la population (garçons, filles, jeunes hommes, jeunes femmes…). Son juste prix permet aussi à beaucoup de pouvoir en profiter. Les scénarios et l’art qui s’en dégagent intriguent un grand nombre et leur permettent de prendre un moment de détente et de plaisir. Néanmoins, certaines des catégories, concernant les filles et jeunes femmes, semblent dépasser ; le manque de ciblage des personnes les plus âgées ne permettent pas de toucher l’ensemble de la population. Ainsi, il est indéniable que le manga est grandement apprécié en France comme le prouve sa deuxième place des pays qui achètent le plus de manga, mais il existe encore des évolutions possibles qui amèneront sans doute l’objet à être encore plus mondialisé et apprécié.



Bibliographie

1. Bouissou, Jean-Marie. « Pourquoi aimons-nous le manga ? Une approche économique du nouveau soft power japonais », Cités, vol. 27, no. 3, 2006, pp. 71-84.

2. (2022), France : 85 millions d’exemplaires BD et manga vendus en 2022. Les univers du livre Actualité. Disponible sur : https://actualitte.com/article/109794/economie/france-85-millions-d-exemplaires-bd-et-manga-vendus-en-2022

3. Détrez, Christine. « Des shonens pour les garçons, des shojos pour les filles ? Apprendre son genre en lisant des mangas », Réseaux, vol. 168-169, no. 4-5, 2011, pp. 165-186.

4. Détrez, Christine, et Olivier Vanhée. Les mangados : lire des mangas à l’adolescence. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2012.

5. Bourdieu, Pierre, et Jean-Claude Passeron. La Reproduction. Le sens commun. 1970.

6. Buscatto, Marie. « La culture, c'est (aussi) une question de genre », Sylvie Octobre éd., Questions de genre, questions de culture. Ministère de la Culture - DEPS, 2014, pp. 125-143.

7. Lahire, Bernard. La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi. La Découverte, 2006.

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10. (2018), Les mangas : un marché évalué à 115 millions d’euros en France. Caractère : le site des professionnels de l’imprimé. Disponible sur : https://www.caractere.net/caractere-net/actualites/item/les-mangas-un-marche-evalue-a-115-millions-d-euros-en-france#:~:text=Ces%20quatre%20derni%C3%A8res%20ann%C3%A9es%2C%20le,alentours%20de%207%2C6%20euros.

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12. Pronovost, Gilles. Sociologie du loisir, sociologie du temps. Temporalités, 2014.

13. Caro. (2018), Pourquoi le shôjo ne se vend plus en France ?. ClubShôjo. Disponible sur : https://club-shojo.com/pourquoi-shojo-ne-se-vend-plus-france/

14. (2022) En 2022, les jeunes restent attachés à la lecture malgré l'omniprésence des écrans. Vie publique : au cœur du débat public. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/en-bref/284905-lecture-la-pratique-des-jeunes-face-la-concurrence-des-ecrans